Santiago
33° 27' 43"
70° 43' 41"

26.12.11

Chronique d'un bordel annoncé

14.12 / 21h : coup d'envoi de la finale de la Copa Sudamericana entre la U. Chile et la Liga de Quito.

Pour donner un ordre d'idée, c'est comme si l'OL était en finale de la Champion's League alors il faut bien se rendre compte à quel point c'est important...

Avec mes colocs on va au Bajon, notre bar de foot fétiche, tout dégueu, mais où les supporters sont franchement à fond.

21h04 : premier but de la U, par cet Homme : Eduardo Vargas, meilleur buteur de la coupe.
Grosse scène de joie mais c'est rien à coté de ce que ca devient après 5-6 bouteilles de bières.

22h30 : En tout, il y aura 3 buts, tous pour les chiliens.
Et voilà ce que ca donne : une trentaine de supporters en chaleur dans 25 m carrés après un but :






On essaie tant bien que mal de comprendre les chants. Un de mes colocs lance meme un C.H.I, Chi ! L.E Le ! Chi Chi Chi, Le Le Le ! Universidad de Chile !
Mais ce qu'on a bien compris c'est que ca allait se terminer en plein centre : Plaza Italia


Minuit (et quelques) : Chacun son petit drapeau et c'est partie : ca chante, ca crie, ca klaxonne, ca saute partout. On est content, c'est sympatoche...
Bien que je ne me sentais quand meme qu'à moitié concernée, ca faisait longtemps que je n'avais pas vécu un moment de liesse pareil (en vrai depuis la Coupe du Monde 98 ou bien l'Euro 2000, on peut le dire. Ou alors Lyon Champion de France mais ca, on commencait a avoir trop l'habitude après... ou sinon le Crit quoi.)

Enfin bref.

Minuit (et encore plus de minutes) : Plaza Italia. Feux d'artifices en impro (ca vous aurait plu Alex au carré), fumigènes, et sur le téco, en mode camouflage, en train de protéger une statue : les Pacos (carabineros) complètement stoiques. Gros décalage complètement surréel.


 (désolée je n'ai pas de photos personnelles)

Presque une heure du matin : on rentre dans le feu de l'action !
La fête aura été courte. Les pacos commencent à charger, d'un coup, sans prévenir et en venant de nulle part.
La tension monte et les flics envoient les guanacos (lances à eau mélangée à des produits chimiques) pour disperser la foule qui ne peut pas se disperser puisqu'ils sont des tonnes autour de nous.

A cheval, en voiture, en camion, en petit blindé, à pied : c'est au choix !

Comme c'est bien connu : "la haine attise la haine", et derrière ce proverbe extrêmement sage se cache un montón de trucs qui sont pour moi incompréhensibles et qui m'ont réellement mise hors de moi.

J'assiste donc ensuite à

1) un dialogue de sourd ou une bagarre entre deux mecs bourrés.

En bref, ca donne :
"- Vous les supporters saoûls, la fête est finie.
- (grosse incompréhension du coup on balance des bouteilles en verre ou tout ce qu'on trouve par terre et on commence à péter un plomb en s'énervant sur tout ce qui passe - y compris sur des innocents comme moi, mais rien de grave.)
- Tu me tapes ? Alors je te tape.
- Arrête de me taper t'es débile ou quoi ? Du coup je t'insulte et je te dis "concha su madre" (l'insulte fétiche chilienne). Et puis je te tape aussi meme si j'ai aucun moyen de le faire. Bam ! Un gravier dans ta gueule !
- Tu m'as tapé ET insulté alors je te tape encore plus fort parce que MOI je peux et j'ai plein d'outils DONT une matraque hyper pratique. Alors tu m'fais pas peur !"

S'en suivent donc des actions complètement incompréhensibles du genre le flic va dans la foule au hasard pour faire peur et dit de dégager en mettant des coups de matraque dans le ventre. NORMAL.

Tout ceci te donne l'impression d'être en plein milieu d'une guerre civile. NORMAL.

" - Et au début on était là pour faire la fête non ?!
- Ba ouais mais bon, tant pis on va faire comme tout le monde, rentrer à la maison à pied et avoir une tête affligée."


2) J'ai quand même eu la sensation par moment que tout ce jeu du chat et de la souris plaisait dans une certaine mesure aux jeunes présents.

Parfois, des mouvements de foules sortis de nulle part se formaient, les gens fuyaient le camion de flics mais en réalité, à ce moment précis, il n'y avait pas de danger.
La preuve, le mec qui vendaient ses sandwichs dans la meme rue n'a meme pas tourné la tête.
Je ne généralise bien sûr pas mais certains ne crachent pas sur une minute de montée d'adrénaline.

3) Certaines questions subsistent

Est-ce-qu'à Santiago aujourd'hui, plus rien ne peut se faire sans un mouvement de violence généralisée, - souvent à l'origine d'un petit groupe celà-dit - et l'intervention de la force du côté du gouvernement ?
(cf la fête de la musique dans le plus grand parc de Santiago qui s'est terminé en gros n'importe quoi : des fumigènes mais aussi des centaines de personnes sur la scène en train de casser les amplis, des feux un peu partout et finalement les gaz lacrymos et l'arrivée des forces spéciales).

Pourquoi est-ce-que la répression semble être la première option et non une solution en dernier recours ?

Et les pacos sont-ils vraiment méchants ou ils le font exprès ?

Et pourquoi ils sont mala onda et ils nous font jamais un petit sourire ?

 Je n'ai pas la réponse à ces questions mais le sentiment que je garde de cette soirée est extrêmement mitigé et m'a laissé l'impression de vivre pendant l'espace de 15 minutes dans une dictature.

Le bilan de la soirée à cet endroit précis selon les autorités : 72 détenus. 4 carabineros bléssés et 1 bléssé civil assomé par la pression de l'eau du guanaco.
Culture du chiffre : que ce soit dans les manifs ou autre, si tu te trouves au mauvais endroit au mauvais moment, c'est fini pour toi : a la cárcel !

Comme l'a fait remarquer un de mes colocs, l'habitude des affrontements due aux nombreuses manifs a peut être banalisé ces scènes de violence, quoiqu'il en soit, elle reste insupportable.

Selon moi, ce pays est dans un état de tension permanente (en particulier en ce qui concerne tout le secteur public : santé, éducation...laissé de côté par un président ultra-libéral), souvent en état de souffrance, jamais loin de la limite et toujours révolté.